La mère Michel a-t-elle réellement perdu son chat ?

Avant-propos : Oui, on sait, l'Oeil et la Flûte a mis 9 mois à accoucher d'un article. Ne nous jugez pas, vous avez la même période de gestation. Merci.

NON. Tout ça, ce sont des inepties absurdes. Une nouvelle leçon de crédulité. Arrêtons de croire tout ce qu’on nous raconte, sous peine de nous prendre toute la désillusion du monde en plein dans la gueule. Nous nous bornons depuis tout petits (et encore parfois aujourd’hui sous la douche) à chanter des comptines dont nous ignorons le sens. Non pas parce que les paroles appartiennent au langage soutenu ou sont d’un niveau littéraire trop élevé pour le français moyennement con, mais parce qu’on nous manipule depuis toujours. Je ne sais pas pour les premiers pas sur la Lune, ni pour le 11 septembre, mais là, ça ne fait plus aucun doute. La mère Michel n’a pas perdu son chat. Désolé.

Conditionnement prématuré

Nous sommes conditionnés
depuis le plus jeune âge

Je ne sais pas si vous avez remarqué mais, comme de par hasard, toutes les comptines vous sont répétées dès la naissance, à tel point que votre cerveau enregistre les paroles alors même qu’il n’a pas encore les capacités de les comprendre. Et PAF, ça rentre. Et PAF, vous vous entêtez à déblatérer à tue-tête une horde de stupidités et de propos obscènes sans même vous en rendre compte. Et PAF, vous continuez pendant des années, jusqu’à l’affreux jour où vous décidez de vous pencher sur une analyse en trois partie, thèse/antithèse/synthèse, d’un paragraphe dont la mélodie des syllabes a bercé vos premières nuits complètes. Mais il est déjà trop tard. Car même conscient de l’absurdité des textes que vous avez intégré, vous continuez à les répéter. Ils sont en vous, et vous ne trouverez jamais plus la force d’y opposer la moindre résistance.

Pierrot La Lune est un connard comme les autres.

Réfléchissez-y. Rien que cette (salope) d’alouette qui se fait plumer de tous les côtés, et qui aime tellement ça qu’elle en redemande. « Et le dos », « et la queue »… Ah, elle a bon dos l’alouette, vu sous cet angle. Puisqu’on parle d’angle (oui je sais, rien à voir mais), c’est quoi aussi que cette histoire de marionnettes qui, (ainsi font font font), enchaînent les petites tour(nantes ?) et à qui l’on ordonne de sauter (« sautez, sautez marionnettes ! »), les mains sur le côté et de recommencer. Moi, ça me révolte. 

Illustration complètement à côté de la plaque
de "Au clair de la lune" visant à manipuler
les enfants

Mais ce n’est encore rien à côté de ce coquinou de Pierrot la Lune. Quand j’étais petit, je croyais que c’était une histoire triste et que la chandelle morte était de la famille (j’étais un peu con, quand j’étais petit il faut dire). Mais non en fait, c’est juste une meuf qui va voir son pote Pierrot (soit disant pour « écrire une lettre ») dans le but de se faire allumer ( « Ma chandelle est morte, je n’ai plus de feu, ouvre-moi ta porte, pour l’amour de Dieu »). Sauf que le gars préfère se toucher (« je suis dans mon lit ») et l’envoie se faire prendre dans la cuisine de sa voisine (« va chez la voisine, je crois qu’elle y est, car dans la cuisine, on bat le briquet »). Vu l’allusion du début à la chandelle, je pense qu’il n’y a aucun doute sur le double sens de l’expression « battre le briquet ». Le pire dans tout ça, c’est que si vous aviez encore un doute (« meuuuh non, ça s’peut pas, il pousse le bouchon un peu loin là »), vous avez toute la fin de la chanson pour vous rendre compte que j’ai raison. « On chercha du feu. En cherchant d’la sorte, je n’sais c’qu’on trouva, mais je sais qu’la porte, sur eux se ferma ». Quand on sait que toute cette histoire se passe dans un cadre érotique de clair de lune (souligné à trois reprises dans la chanson)… Non, là, vraiment, je trouve que ça devient carrément dégueulasse.

On peut passer sur « Auprès de ma blonde, qu’il fait bon dormir » (qui, malgré les apparences, est en fait plus poétique que dégueulasse) pour se concentrer directement sur « Aux marches du palais ». Les paroles valent le coup d’œil. Vous ne le soupçonniez certainement pas plus que moi avant cette enquête approfondie, mais ça parle d’une bonnasse pétée de thunes (« aux marches du palais, y’a une tant jolie fille ») qui, il faut le dire (donc pardonnez mes mots crus), se fait déboiter par tout le monde (« elle a tant d’amoureux qu’elle ne sait lequel prendre »). Finalement, elle se décide pour un cordonnier (Dieu merci la morale pécuniaire est sauve, c’est déjà ça) qui, « en la chaussant, lui fit une confidence » (Oui oui, vous avez bien lu. « En la chaussant ».) Mais tout cela n’est absolument rien à côté la suite qui, scandaleuse, devrait être censurée au plus vite. « La belle si tu voulais nous dormirons ensemble dans un grand lit carré parfumé de lavandes […] Dans le mitan [ndlr : milieu] du lit, la rivière est profonde, tous les chevaux du roi pourront y boire ensemble […] et nous serions heureux jusqu’à la fin du monde». Haem. Je ne voudrais surtout pas paraître rude, pervers ou quoique ce soit mais,  pour récapituler le plus poétiquement du monde, le cordonnier qui vient de la troncher lui sort en guise de confidence sur l’oreiller  « Viens on baise, on invite tous les chevaliers du royaume, et ce sera grave cool Bbey ». Ah ils étaient libertins à l’époque quand même.

Après, dans le plus subtile et – un peu - plus poussé c’est vrai, on peut citer Cadet Rousselle qui, en gros, a trois maisons, qu’on peut comprendre comme trois foyers. En effet, on comprend plus tard qu’il a trois chiens, trois chats (or, un par foyer suffirait amplement), trois garçons, trois filles, et trois deniers. Les deniers, c’est pour « Payer ses créanciers », et « quand il a montré ses ressources, il les resserre dans sa bourse ». On ne va pas s’étaler, mais je pense que vous avez compris le point. Par contre, puisqu’il a trois maisons et deux fois plus d’enfants, j’avoue avoir du mal à expliquer pourquoi « Cadet Rousselle a une épée, très longue mais toute rouillée ». Un mec aussi swag qui mène une triple-vie de famille et qui rouille de l’épée ? Faudrait peut-être aller consulter, ça ne doit pas être normal.

Il n’y a jamais eu de Père Lustucru

Le "Père Lustucru" existe aujourd'hui à travers la croyance collective
et est donc régulièrement représenté en cuisinier

Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’accroître le choc que nous venons tous de subir. Aussi je m’abstiendrai de relever le fameux « je l’attrape par la queue, je la montre à ces messieurs » d’Une Souris Verte, un peu facile. 

Mais pour répondre à la question initiale, non, la Mère Michel n’a pas réellement perdu son chat. (Avant de parler de la Mère Michel, j’aimerais juste faire une parenthèse, parce que je viens d’apprendre en rédigeant cet article qu’il n’y avait jamais eu de Père Lustucru, mais un Père l’eusses-tu-cru, plus-que-parfait. Je sais. Désolé.) Si vous regardez attentivement les paroles, vous pourrez vous rendre compte que le Père (l’eusses-tu cru, ce fusse lui qui l’eut eu, le saligaud*), lui, sait où est le chat (donc il n’est pas perdu), et qui demande clairement une « récompense » (mouais mouais). La mère Michel ne lui proposant qu’un baiser, le Père ne rendit jamais la bête (il faut croire qu’il avait d’autres idées en tête, mais ne nous étalons pas sur ce débat bien connu visant à déterminer si oui ou non la Mère Michel et le Père ont un passé sexuel commun). 

Non seulement cette chanson rate totalement ce qu’elle pensait être de l’inculcation à la conjugaison en faisant involontairement de la pub pour des pâtes, mais en plus elle rappelle que, si vous n’offrez pas aux hommes les faveurs sexuelles qu’ils vous demandent, vous ne reverrez jamais plus votre chat. Après ça, on s’étonne de vivre dans une société misogyne, pornographe, décadente et égoïste. J’ai du bon tabac dans ma tabatière, j’ai du bon tabac, tu n’en auras pas.

*Par soucis déontologique, nous sommes obligés de vous préciser que non, cette phrase n’est pas correcte.